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Les formations aux arts du cirque : évaluation, analyse de pratiques
Résumé: Depuis 1974, les formations aux arts du cirque en France, rompant avec la transmission familiale, se sont ouvertes à tous. Leur champ d’application recouvre la sensibilisation par les loisirs, l’éducation artistique et culturelle, les formations pré professionnelles et supérieures. A partir de 3 enquêtes (Goudard, 2002, 2003 ; Vitali, 2006) et de recherches existantes (Rosemberg, 2004 ; Goudard ; 1989, 2006) nous mettrons en tension les problèmes de l’évaluation dans ces filières, entre politiques culturelle et de formation et réalités des métiers (hors des pratiques par des non pratiquants). Nous observerons également pourquoi et comment des analyses de pratiques, notamment la mise en place d’un Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations Educatives (GEASE), pourraient être un outil supplémentaire pour les futurs artistes, les formateurs et l’institution délivrant le diplôme, à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts du Cirque (ENSAC) de Chalons en Champagne en France. Ce travail est le fruit d’une collaboration sur le thème du cirque entre chercheurs en Sciences de l’éducation et en arts du spectacle, entamée il y a six ans.
Mention complète de la source: Vitali, J. & Goudard, P., (2008), Les formations aux arts du cirque : évaluation, analyse de pratiques. Actes du 20e colloque de l'ADMEE-Europe, Université de Genève. [https://plone.unige.ch/sites/admee08/symposiums/j-s3/j-s3-5]
Les formations aux arts du cirque : évaluation, analyse de pratiques
Josiane Vitali
Philippe Goudard, Université Paul Valéry
1. Enquêtes et recherches sur lesquelles s’appuient cette synthèse
1.1 Intérêt du calcul de la charge de travail pendant l’apprentissage des arts du cirque (Goudard, 1989)
Les artistes de cirque réalisent des performances d’un niveau souvent équivalent à celui des athlètes de haut niveau (Goudard, 1989), qui ne sont possibles que par un entraînement constant depuis les plus jeunes années, exposant en permanence l’organisme à une contrainte physique importante. En France, 78% des enfants fréquentant les écoles de cirque ont moins de 14 ans, et des notions évidentes pour le sportif telles que préparation, récupération, planification d’entraînement, prévention, suivi médical, étaient absentes des programmes d’enseignement jusqu’il y a peu.
Or, il existe, pendant l’apprentissage des Arts du Cirque, un niveau de charge de travail au-delà duquel apparaît d’une façon statistiquement significative chez le sujet qui s’y soumet, une pathologie de l’appareil locomoteur. Ce niveau critique est très proche de celui qui permet une réelle adaptation de l’organisme à l’exercice. La marge de manœuvre est donc très étroite entre les protocoles d’entraînement efficaces et ceux qui comportent un risque d’empêcher la pratique. Pour limiter les effets néfastes de l’entraînement, il faut pour cela que les formateurs soient formés. Ce respect de l’intégrité physique du futur artiste dès l’apprentissage est d’autant plus nécessaire que l’exercice des Arts du Cirque exposera le professionnel à bien d’autres contraintes, qui majoreront celles qui sont imposées par la performance artistique elle même.
Cette thèse de médecine (Nancy 1) réalisée à partir de 385 observations sur le terrain pendant une année passée au Centre National des Arts du Cirque, observe les formations aux arts du cirque et les pratiques professionnelles en France. Elle met en évidence l’absence de procédés d’évaluation des risques pendant l’apprentissage et la pratique des arts du cirque, et propose un protocole d’évaluation et de prévention.
1.2 Etude du contexte de l’activité professionnelle d’encadrement des pratiques circassiennes dans le cadre des loisirs (Fougère, Goudard, 2002)
Cette enquête d’une année (étude des sources institutionnelles, observations de terrain, entretiens,..), commandée par les ministères de la Culture et de la Communication et de la Jeunesse et des Sports, s’est fixé comme objectif de clarifier les besoins (activités, compétences et emplois) dans l’encadrement des arts du cirque dans les pratiques de loisirs en France. Ceci afin de permettre aux deux institutions commanditaires d’établir les procédures de qualification les plus pertinentes pour les formateurs. Elle a mis en évidence l’innocuité des pratiques de loisirs du cirque et l’intérêt qu’elles suscitent en France, en même temps que l’absence d’évaluation des pratiques des formateurs, de leurs qualifications, de leurs résultats, et de la certification de leur compétences.
1.3 Evaluation des écoles à vocation professionnelle des arts du cirque (Goudard, 2003)
Cette étude d’un an réalisée pour le ministère de la Culture et de la Communication (étude des sources institutionnelles, observations de terrain, entretiens,..), s’est fixé pour objectif l’évaluation des huit écoles à vocation professionnelle françaises (pré requis, programmes des cursus, compétences des équipes pédagogiques, mise en œuvre, économie…). Elle a mis en évidence le grand nombre de jeunes candidats à ces formations non diplômantes, l’absence de données fiables sur les bassins d’emplois, le devenir des jeunes artistes, et la méconnaissance des réalités et des risques de ces métiers, par les prescripteurs de ces politiques économiques et culturelles de formation. Elle a conclu à la nécessité d’une limitation de ces formations dangereuses, dispensées par des personnels aux compétences non évaluées et non certifiées, et au report des vocations vers les cursus supérieurs validants et certifiés, ou les pratiques amateurs.
1.4 Arts du cirque, arts du risque, instabilité et déséquilibre dans et hors la piste (Goudard, 2005)
En se fondant sur l’histoire, l’étude du terrain, l’expérience du métier et la confrontation quotidienne à la pratique, cette thèse en arts du spectacle (Montpellier 3), restitue l’histoire récente des arts du cirque en France et ses sources archaïques, et propose, en suivant la piste du risque, une nouvelle approche du cirque. La notion de prise de risque est élargie à celles d’instabilité et de déséquilibre, et rapprochée de l’impermanence de ses formes artistiques et économiques, du processus de composition, des risques physiques et sociaux induits par la pratique. Ces modalités d’expression et d’existence, où l’artiste s’expose en permanence au déséquilibre, fondent l’hypothèse d’une esthétique du risque au cirque. Cette recherche met encore en évidence l’absence marquée d’une évaluation réelle des risques liés aux pratiques et aux formations, et l’existence d’injonctions des prescripteurs des politiques culturelles françaises, reposant sur des choix esthétiques non étayés, en décalage avec les réalités du métier et des pratiques.
1.5 Du nomadisme des artistes de cirque : une formation à la croisée des chemins (Vitali, 2006)
Cette enquête, menée dans le cadre de l’élaboration d’un mémoire de Master Conseil et Formation en Education (Sciences de l’éducation, Montpellier 3) permet de nouvelles analyses portant sur l’évolution possible de la formation supérieure aux arts du cirque. Les questionnements des jeunes artistes fraîchement diplômés sont nombreux, variés, et à des échelles différentes. L’étude, d’une part, met en évidence les véritables aspirations de ces jeunes artistes de haut niveau d’aujourd’hui, le décalage existant avec l’offre de formation, et l’intérêt et le soulagement exprimés face à une écoute leur offrant la possibilité d’échanger sur leurs inquiétudes, et d’autre part révèle un véritable intérêt émanant des responsables de cette institution, de se pencher sur des nouvelles pistes de réflexion que mettent en lumière les recherches conduites sur le terrain.
1.6 Arts du cirque, esthétiques et évaluation (Rosemberg, 2004)
La question de l’évaluation artistique est sensible, d’autant plus lorsqu’elle constitue une étape essentielle du mécanisme qui préside à la répartition des deniers publics dans le cadre des politiques culturelles, et qu’en corollaire, elle constitue pour bien des raisons, une des uniques chances pour des artistes de voir leurs projets aboutir, donc leur survie assurée pour un temps. Ce travail, extrait d’une thèse d’université en cours (Paris 1, Panthéon - Sorbonne, Centre d’Histoire Sociale du XXème siècle), souligne que l’évaluation artistique est réalisée par les prescripteurs des commandes artistiques eux mêmes. Elle met, à bien des égards, en perspective, la question de l’évaluation des arts du cirque, avec celle des politiques culturelles, qui tiennent lieu et place d’une politique des Arts.
2. Rappel historique
Depuis 1974, les formations aux arts du cirque en France se sont ouvertes à tous en rupture avec la transmission familiale. Le Théâtre équestre du XVIIIème, est devenu le Cirque au XIXème, puis les Arts du cirque au XXème (Jacob, 2002). En effet, le spectacle du cirque en France revêt aujourd’hui plusieurs formes, réunies par les spécialistes sous le nom de « cirque actuel » : le Cirque classique plus communément appelé le Cirque « traditionnel » ou « de tradition », héritier du Cirque moderne, né au XVIIIème siècle, le Nouveau cirque apparu dans les années soixante en France, et le Cirque contemporain, né des directives du ministère de la Culture et des politiques culturelles conduites depuis la décentralisation culturelle de l’immédiate après-guerre et appliquées au cirque depuis les années 1980.
Apparemment en rupture avec le Cirque classique ou traditionnel, le Nouveau cirque des années 1970 et le cirque Contemporain des années 1990, s’appuient pourtant sur les mêmes disciplines, mais distribuées différemment au service d’œuvres aux compositions variées. La vraie ligne de partage est plutôt économique qu’artistique, avec une économie privée pour le cirque traditionnel (80%) et une économie publique subventionnée, pour le cirque contemporain (20%). Toutes formes confondues, les arts du cirque en France sont la première sortie au spectacle vivant des français avec 11 millions de spectateurs annuels (Guy, 1992).
3. Etendue et structuration des formations aux arts du cirque
Leur champ d’application recouvre la sensibilisation par les loisirs, l’éducation artistique et culturelle, les formations pré professionnelles et supérieures. Le fort engouement pour le cirque et ces renouvellements esthétiques, poussent de plus en plus de jeunes à vouloir en faire leur profession et de nombreuses formations à voir le jour (Guy, 1992 ; Goudard, 2003). Ces formations aujourd’hui variées, se sont développées avec la notion d’« école de cirque ». Avant la naissance des écoles de cirque, on ne parlait pas de formation mais de transmission. Depuis les années 1970, les cours et écoles de cirque fleurissent partout en France et drainent d’une façon croissante des publics d’amateurs, de quelques milliers en 1988 à plusieurs dizaines de milliers aujourd’hui, en même temps qu’ils sont à l’origine des mises en place par l’État des formations supérieures (ANDAC, 1988 ; Goudard, 1988, 2002).
Le terme école recouvre plusieurs réalités : centre de loisirs, écoles de pré professionnalisation, écoles de préparation au concours des formations supérieures… Les nuances sont souvent peu lisibles pour les publics non avertis, d’autant que la mode et les profits qu’en tirent certains formateurs aidant, la communication commerciale reste souvent délibérément floue sur les objectifs de ces formations, les appellations, leur validation. Avec en toile de fond des intérêts conjoints mais parfois antagonistes dans leurs projets de régulation, d’actions émanant des ministères de l’Éducation nationale, de Jeunesse et des sports et de la Culture et de la communication et des collectivités territoriales (Départements, Régions, Villes..). L’utilisation inappropriée du terme de formation ou d’école, et ses conséquences, sont majorées par l’existence de nouveaux métiers culturels de médiation ou d’ingénierie, ignorants des réalités des métiers et des pratiques du cirque.
Les premières écoles françaises, écoles Montfort-Gruss et Fratellini-Etaix, ouvrirent leurs portes en 1974 à Paris, aux premières promotions de jeunes gens non issus de la transmission familiale, qui donnèrent naissance aux premières troupes et compagnies du « Nouveau cirque » français. Elles répondaient à des besoins économiques liés au déclin du cirque autant qu’au goût pour le renouvellement des formes théâtrales dans les années 1960 (Goudard, 2005) et offraient à tous un enseignement jusqu’alors réservé aux seules familles de cirque. Ces formations n’étaient pas validantes, ne délivrant aucun diplôme artistique, si ce n’est un Certificat d’Aptitude Professionnelle de monteur de chapiteau, pour l’école Fratellini-Etaix.
La formalisation de diplômes d’état dans les arts du cirque, est récente en France. Elle est liée à la création par l’état, du Centre National des Arts du Cirque (CNAC) qui abrite l’Ecole Nationale Supérieure des Arts du Cirque (ENSAC) à Chalons en Champagne. Créé en 1985 après deux années de préfiguration, le CNAC, qui a fêté ses 20 ans en 2005, dispose des locaux d’un cirque stable édifié à la fin du XIXème siècle. Sa création n’est pas étrangère au mouvement inauguré par l’école de Moscou en 1927, puis la création du Studio de Moscou, qui reçut la mission d’innover par la recherche technique et esthétique pour le renouvellement des formes du cirque en ex-URSS.
Une première formation, non supérieure, accessible aux non bacheliers, est sanctionnée au bout de deux ans par un Brevet d’aptitude technique au cirque (BATC) de niveau III (équivalent baccalauréat). La préparation au BATC a lieu à l’école de cirque de Rosny-sous-Bois. Un second cycle de deux ans de formation supérieure aux arts du cirque est validé par le Diplôme des métiers artistiques (DMA) option cirque, de niveau II. Elle est assurée en France par l’ENSAC à Chalons en Champagne et l’Académie Contemporaine des Arts du Cirque Annie Fratellini (ACAC) à Saint Denys. Ces diplômes, validés par le ministère de l’éducation nationale, sont nationaux. Inspirées par le modèle français, les formations supérieures ont aujourd’hui leurs équivalents dans le monde : Montréal, Bruxelles, Londres, Stockholm, Perth en Australie, et bientôt Madrid et Berlin, assurent des formations supérieures et délivrent des diplômes permettant des équivalences universitaires au même niveau. L’entrée dans les cycles supérieurs se fait sur concours. Etre titulaire d’un Baccalauréat (ou équivalent) est obligatoire pour accéder aux formations supérieures.
La formation à l’ENSAC est divisée en 24 unités de valeur représentant environ 3000 heures de cours réparties sur neuf trimestres entre les enseignements professionnels, artistiques, et généraux. L’évaluation est faite sous la forme d’un contrôle continu. L’obtention des 24 unités de valeur, délivrée par un jury d’après les notes et appréciations fournies par l’équipe pédagogique, est obligatoire pour prétendre au DMA option cirque.
Un BAC littéraire artistique option cirque existe en France, depuis 1995, préparé conjointement par le lycée et l’école de cirque de Châtellerault. Enfin, six centres français de pratique du cirque de loisir des arts du cirque se sont spécialisés dans les préparations aux concours d’accès aux formations supérieures françaises et étrangères, profitant des financements régionaux destinés aux formations professionnalisantes. Mais ces formations courtes (10 mois en moyenne) et non diplômantes, doivent laisser pour le moins perplexe, dans la mesure où l’offre qu’elles représentent stimule les candidats, en grand nombre, vers des carrières précaires et dangereuses (Goudard, 1989, 2003).
Après Pierre Kubiack en 1985 puis Guy Caron (co-fondateur du cirque du Soleil) en 1989, la direction de l’ENSAC est confiée à Bernard Turin (plasticien) en 1990, puis à Jean Luc Baillet et Alexandre Delperugia en 2001, et depuis 2005 à Jean François Marguerin. La direction de Bernard Turin fut importante dans la mesure où elle engagea le CNAC unilatéralement dans des formes « contemporaines », délaissant les expressions traditionnelles des arts du cirque.
Ce sentiment est renforcé par la « qualité » (on pourrait dire l’origine) des enseignants de l’école : il n’en reste pratiquement plus aucun issu du monde professionnel du cirque. Les professeurs sont essentiellement recrutés parmi des spécialistes de la gymnastique ou d’autres activités sportives, des comédiens, musiciens, artistes chorégraphiques, metteurs en scène… Si ces apports sont certes intéressants, ils ne devraient pas conduire à éliminer toutes les références à des formes de cirque, qui, rappelons-le drainent 86 % du public. Cette situation explique la vision très négative, tant en France qu’à l’étranger, qu’ont bon nombre de circassiens[1] classiques, mais aussi modernes, du C.N.A.C. Sans remettre en cause les missions de service public de l’ENSAC en matière de recherche esthétique, d’innovation et de rénovation du genre, un certain rééquilibrage paraît nécessaire. (Forette, 1998, p. II-61)
4. Actualité
Parallèlement à cette réflexion en cours sur les nécessités d’élargir le champ esthétique des formations, dans l’intérêt des carrières des jeunes artistes, car comme on le voit, les prescripteurs, en l’espèce, ne sont pas les payeurs du statut social à long terme des pratiquants, un travail, entamé depuis une dizaine d’années se poursuit. D’une part au plan économique, en tentant de lever les zones d’ombre constatées dans l’étude de 2003 : une récente étude du Département des Etudes et Prospectives (DEP) conclut : « La variété des marchés qu’ils peuvent investir offre aux artistes de cirque un confort relatif, du moins à ceux qui proposent des « petites formes » (solo ou duo par exemple). La création de formes importantes (par le nombre d’artistes qu’elle requiert) est le principal point noir d’une économie du cirque actuel encore trop fragile » (David-Gibert, 2006). D’autre part, dans une tension entre continuité et rupture avec le passé (Vinet, 2005), et dans le but de la certification par le Ministère de la Culture et de la Communication de l’enseignement artistique professionnel du cirque, brevets, diplômes, certificat d’aptitudes sont à l’étude, et l’offre de certification se précise : le Diplôme d’Etat d’enseignant des arts du cirque (D.E. équivalent BAC) devrait aboutir en 2008, le Diplôme National Supérieur option cirque (niveau licence) être mis en chantier.
Il est à noter, que dans son « Guide d’élaboration des diplômes », le Ministère de la Culture et de la Communication propose, par le biais de la Commission Professionnelle Consultative du Spectacle Vivant (CPCSV), aux commissions élaborant les référentiels d’activités et de compétences pour le Diplôme d’Etat (D.E.) Arts du cirque, différents types de référentiels : d’emploi, d’activités, de compétences, de formations… On peut rapprocher ces prescriptions des résultats de l’enquête de 2003 qui mettaient en évidence l’absence de données précises sur l’emploi du cirque en France. On doit aussi observer que de nombreux membres de la commission « Cirque » ne sont pas des praticiens mais des cadres de l’administration culturelle nationale ou territoriale, n’ayant jamais pratiqué les arts du cirque.
5. L’évaluation des pratiques
Des analyses de pratiques, notamment le Groupe d’Entraînement à l’Analyse des Situations Educatives (GEASE), pourraient-elles être un outil supplémentaire pour les formateurs, les futurs artistes, les institutions qui délivrent le diplôme ? En 2005-2006, une enquête a été menée au Centre National des Arts du Cirque au sein de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts du Cirque (ENSAC) de Chalons en Champagne en France, dans le cadre du Master Conseil et Formation en Education, sur le thème de la formation au nomadisme des artistes de cirque (Vitali, 2006).
Il a alors été possible de vivre en immersion et de mettre en place une observation participante. Cette période a été enrichie de 9 entretiens semi-directifs avec artistes, chercheurs et professionnels de la formation, cinq heures de films vidéo et plus de 300 photos. Le recueil de ces données et leur analyse ont fait apparaître d’autres questionnements ou hypothèses, permettant de nouvelles analyses portant sur l’évolution possible de la formation supérieure aux arts du cirque. En croisant observations et interprétation des entretiens, il apparaît que les questionnements des artistes sont nombreux, variés, et à des échelles différentes. En effet, les artistes fraîchement diplômés ressentent une forte solitude professionnelle, se sentent pris dans une orientation esthétique réduite, pas assez écoutés, jugés, ignorants du monde réel des spectacles, inquiets pour leur avenir.
Ces moments vécus sur le terrain et les retours qui ont eu lieu ont permis d’entrevoir certains manques dans le cursus de formation, notamment en ce qui concerne le temps d’écoute et de verbalisation (Tozzi & Etienne, 2004), le travail en groupe, les moments d’analyse dépassant le ressenti ; ce qui a entraîné l’émergence de nouvelles hypothèses afférentes au contenu de la formation supérieure des artistes de cirque. Notamment l’hypothèse d’un apport d’un Groupe d’Entraînement à l’Analyse des Situations Educatives (GEASE) durant les deux années de formation supérieure aux arts du cirque. Le développement de cette hypothèse s’appuie sur les résultats de l’enquête et sur l’ouvrage Analyser les situations éducatives (Fumat, Vincens, Etienne, 2003).
Durant les deux années de formation supérieure aux arts du cirque à l’ENSAC, l’accent est mis par les professionnels et les étudiants sur la maîtrise physique d’une discipline artistique. Les moments propices à la réflexion, l’échange et le travail de groupe ne sont pas mis en place. Or l’artiste de cirque n’est pas seulement un corps qui exécute des prouesses. L’artiste de cirque est très souvent amené à travailler dans une troupe et la notion de groupe est alors très présente. Au cours des entretiens les jeunes artistes abordent la difficulté qu’ils ont vécue au moment de gérer les échanges au sein de leur troupe. Cette difficulté est liée à leur jeune expérience de gérer la conscience de soi-même et les enjeux dans le groupe humain, le groupe professionnel, le public et l’institution.
Les échanges à l’intérieur du groupe que peut faire naître un GEASE semblent être sources de richesses en termes de connaissances et de savoirs car les étudiants ont tous des parcours scolaires, professionnels et personnels très différents et apportent ainsi des degrés différents d’analyse d’une situation donnée. C’est aussi la possibilité de découvrir des échanges interculturels car il y a des étudiants étrangers dans chaque promotion. Le protocole du GEASE permet la confidentialité et proscrit tout jugement de valeur ; cela pourrait offrir aux étudiants la possibilité de ne plus être exposés aux blessures narcissiques, nombreuses dans cette profession, et pouvoir parler librement de leurs sentiments d’échec, de leurs questionnements. Un entraînement régulier pourrait également permettre aux jeunes en formation d’aborder des sujets tabous tels que la mort et le risque, omniprésents dans leur pratique. L’habitus très ancré dans cette profession est de ne pas formuler ce type d’inquiétude, car souvent interprété comme un manque de confiance en soi.
Enfin, pour ouvrir des perspectives de travaux complémentaires, cette hypothèse de l’apport du GEASE durant les deux années de formation supérieure aux arts du cirque entraîne une autre série d’hypothèses et un faisceau de questionnements. Comment recruter l’animateur du GEASE est notamment une des questions qui se posent. Au cours de l’enquête un climat de confiance nécessaire à des échanges avec les artistes n’a pu s’installer qu’au moment où ils ont pu s’apercevoir que l’enquêtrice possédait des savoirs et connaissait les pratiques sociales de référence de ce domaine artistique. Ce qui permet d’appuyer l’hypothèse qu’un animateur GEASE ne peut pas être étranger à la discipline professionnelle du groupe auquel il s’adresse.
Le groupe constitué d’artistes en formation aux arts du cirque trouverait-il un bénéfice à accueillir en son sein d’autres étudiants issus de formations artistiques (musique, danse, théâtre), en ouvrant ainsi la possibilité d’échanges sur les contenus des formations ? Le GEASE pourrait-il être mis en place au sein de la formation des formateurs qui va bientôt voir le jour ? Il semble grâce aux entretiens réalisés avec le Directeur général du CNAC, M. Marguerin ainsi que M. Delperugia, directeur délégué à la recherche, mais également avec les responsables de la Direction de la Musique de la Danse du Théâtre et des Spectacles (DMDTS) au Ministère de la Culture, que tous sont ouverts à de nouvelles propositions en vue d’améliorer la prise en charge de la formation des futurs artistes, à la condition bien sûr que ces propositions soient solidement étayées. En démontrer l’efficacité relèverait légitimement des Sciences de l’éducation.
Références
David-Gibert, G. (2006). L’archipel économique du cirque. Développement culturel. Paris : ministère de la culture, N°152, Octobre.
Forette, D. (1998). Les arts de la piste : une activité fragile entre tradition et innovation. Rapport pour le conseil économique et social. Paris : Journaux officiels.
Fumat, Y., Vincens, C. & Etienne, R. (2003). Analyser les situations éducatives. Issy les Moulineaux : ESF.
Goudard, P. (2005). Arts du cirque : arts du risque. Thèse, arts du spectacle, Montpellier.
Goudard, P. (2003). Evaluation des écoles à vocation professionnelle des arts du cirque. Etude pour le ministère de la culture et de la communication. Paris.
Goudard, P. & Fougère, P. (2002). Etude du contexte de l’activité professionnelle d’encadrement des pratiques circassiennes dans le cadre des loisirs. Etude des ministères de la culture et de la communication et de la jeunesse et des sports. Paris : Hors les murs.
Goudard, P. (1989). Bilan et perspectives de l’apport médical dans l’apprentissage et la pratique des arts du cirque en France. Thèse, faculté de médecine, Nancy.
Guy, J.M. (1993). La fréquentation et l’image du cirque. Développement culturel. Paris : ministère de la culture, N°100, Septembre.
Rosemberg, J. (2004). Arts du cirque, esthétiques et évaluation. Paris : L’Harmattan.
Vinet, J. (2005). Continuité et rupture dans la transmission des savoirs dans les arts du cirque, 1971- 1999. Thèse Institut des Etudes Théâtrales, Paris 3.
Vitali, J. (2006). Du nomadisme des artistes de cirque : une formation à la croisée des chemins. Mémoire de Master Professionnel Conseil et Formation en Education. Montpellier.
Tozzi, M., Etienne, R. (2004) (Ed.). La discussion en éducation et en formation. Paris : L’Harmattan.