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La soutenance de mémoire en master recherche : la familiarisation de l'étudiant à ce nouveau système d'évaluation
Résumé: La structure formative du Master présente des caractéristiques différentes de celles de la Licence (L1, L2, L3) au niveau du rapport au savoir et à l’enseignant. En m’appuyant sur les travaux de Van Gennep sur les rites de passage et de Coulon sur les rites d’affiliation, j’envisage le Master comme un passage qui comprendrait trois phases : la déstabilisation, l’adaptation et la familiarisation. L’étudiant familiarisé connaît les attentes et le rôle de son directeur. Il parvient à découvrir les implicites de sa direction, à négocier ce qui est négociable, à compenser les éventuels manques ou les insatisfactions de sa direction et en connaît les limites. Je postule que la réussite de l’étudiant passe par sa familiarisation à sa direction de mémoire. Pendant la première année de Master, l’étudiant se confronte notamment à un nouveau système d’évaluation (l’élaboration d’un travail de recherche et une soutenance orale), qui diffère de celui proposé en Licence (principalement basé sur une restitution des connaissances), auquel il était accoutumé. Face à cette évolution dans la structure évaluative de la Licence au Master, certains étudiants de Master réussissent à se familiariser à ce nouveau mode d’évaluation, alors que d’autres éprouvent davantage de difficultés à en comprendre les règles, qui restent pour une part de l’ordre de l’implicite. Nous proposerons certains aspects d’une étude qui porte sur la direction de mémoire en Master et plus précisément le passage en Master, en essayant de comprendre comment et pourquoi ce type d’évaluation est décodé par certains étudiants et non par d’autres.
Mention complète de la source: Gerard, L & Gremmo, M.-J., (2008), La soutenance de mémoire en master recherche : la familiarisation de l'étudiant à ce nouveau système d'évaluation. Actes du 20e colloque de l'ADMEE-Europe, Université de Genève. [https://plone.unige.ch/sites/admee08/communications-individuelles/j-a6/j-a6-2]
La soutenance de mémoire en master recherche : la familiarisation de l'étudiant à ce nouveau système d'évaluation
Laetitia Gerard, Marie-José Gremmo
Laboratoire interuniversitaire des sciences de l'éducation et de la communication, Nancy
1. Introduction
Les recherches françaises qui portent sur la réussite ou l’échec des étudiants dans l’enseignement supérieur se focalisent majoritairement sur le premier cycle universitaire. Or, comme le souligne Duru-Bellat, les compétences requises en Master diffèrent de celles requises en Licence (L1, L2, L3) :
Les examens de 1er année peuvent privilégier les étudiants qui retiennent bien et écrivent vite, les examens de maîtrise (la rédaction d’un mémoire notamment) peuvent faire appel à d’autres compétences. Mais il est vrai qu’on s’interroge peu, dans l’enseignement supérieur sur les qualités que requièrent des modalités de contrôle souvent dictées par d’insolubles considérations matérielles. Il serait pourtant important de savoir aussi quels sont les critères de réussite en maîtrise, en troisième cycle (Duru-Bellat, 1997, p.67)
De la Licence au Master, l’étudiant passe, de ce fait, d’une logique de restitution de connaissances à une formation à la recherche par la recherche. Ainsi, passer le cap du premier cycle ne suffit pas à l’étudiant pour réussir la suite de son parcours estudiantin, encore lui faut-il passer aussi le cap du Master. Ce passage dans une nouvelle structure formative, comme en témoignent Le Bouëdec et La Garanderie (1993), est source de nombreux abandons :
Beaucoup d’étudiants très à l’aise jusque-là [en licence][1] dans les enseignements dont ils tirent un éclairage pour eux important, se heurtent maintenant [en Maîtrise][2] à une logique de formation assez radicalement différente, qui les déroute beaucoup. Le nombre de mémoires ou de thèses jamais achevés, le gâchis social et universitaire qui en découle, serait, à eux seuls, des raisons largement suffisantes pour s’interroger sur l’accompagnement et le suivi des études doctorales d’une part, et sur les stratégies de formation à/et par la recherche par l’autoformation d’autre part (Le Bouëdec et La Garanderie, 1993, p.12)
Comme le mentionnent ces auteurs, l’étudiant qui entre en Master se confronte non seulement à un nouveau rapport au savoir mais également à un nouveau rapport à l’enseignant par l’introduction d’une nouvelle relation pédagogique duale, celle de direction de mémoire. Nous centrerons ici notre analyse sur un aspect de notre étude : l’évolution de la structure évaluative en Master, qui présente des caractéristiques différentes de celles proposées en Licence (L1, L2, L3) au niveau du rapport au savoir et à l’enseignant. Ce qui nous intéresse ici, est de découvrir, pour mieux les comprendre, les tensions entre l’étudiant et son directeur de mémoire dans l’accompagnement du mémoire de Master 2 recherche (la formation au diplôme du Master), ainsi que les tensions dans l’évaluation de ce mémoire (l’évaluation de ce diplôme).
2. L’entrée en Master : se familiariser à un nouveau système d’évaluation
Je m’appuie, dans cette partie, sur des recherches qui ont porté sur le premier cycle universitaire, à savoir le DEUG. Depuis le passage des universités au système LMD, nous pouvons assimiler ce diplôme du DEUG à la Licence 1 et 2. Les recherches qui se sont intéressées au DEUG sont ainsi valables pour la Licence 1 et 2. Ensuite, on remarque dans la structure évaluative de la Licence 3 une certaine similitude avec celle proposée à l’étudiant en Licence 1 et Licence 2. Les recherches sur le premier cycle sont alors transférables à la Licence 3.
2.1 Evolution dans la structure évaluative du Master
Romainville (1998) s’est intéressé aux « stratégies d’apprentissage » des étudiants de premier cycle, qu’il définit comme « l’ensemble des procédures mises en oeuvre par un étudiant pour apprendre » (Romainville, 1998, p.75)[3]. Comme il le souligne (Romainville, 1993, 2000), l’étudiant apprend dans l’optique de réussir ses examens. Sa conception de l’apprentissage est ainsi tributaire du type d’évaluation qui lui est proposée par l’enseignant. D’après l’auteur, les modalités d’évaluation en premier cycle sont principalement basées sur l’attente d’une restitution des connaissances à l’examen, ce qui a tendance à privilégier chez l’étudiant la reproduction, c'est-à-dire une mémorisation superficielle et séquentielle, une rétention des connaissances.
Par ailleurs, toujours selon Romainville (2000), en premier cycle le savoir est transmis par l’enseignant, via notamment les cours magistraux, ce qui favorise une certaine passivité de l’étudiant au détriment de sa responsabilité et de son autonomisation.
A l’entrée en Master, on peut remarquer que l’étudiant se confronte à un système d’évaluation diffèrent de celui dont il était accoutumé en Licence. En effet, la temporalité de l’évaluation en Master se situe maintenant à deux niveaux. L’évaluation est continue, puisque l’élaboration d’un mémoire de recherche implique une évaluation continue du directeur de mémoire tout au long de l’année et une autoévaluation permanente de l’apprenti chercheur sur son propre travail de recherche. L’évaluation est également finale, par le biais de l’épreuve orale, la soutenance, qui se déroule en fin d’année. Ce changement dans la temporalité de l’évaluation entraîne une évolution dans l’organisation de l’évaluation. Alors qu’en Licence c’est l’enseignant qui prépare, organise et planifie l’évaluation, à l’entrée en Master l’étudiant découvre que c’est à présent à lui de construire son propre calendrier de recherche en se fixant un échéancier et des objectifs de travail afin de valider son travail de recherche dans les temps qui lui sont impartis. C’est également à lui de choisir un sujet de recherche (dans la plupart des cas), puis de construire un mémoire de recherche en vue d’une évaluation finale et d’une soutenance orale. On remarque alors que l’étudiant passe d’une structure évaluative hétérodirective c'est-à-dire organisée par l’enseignant, à une structure évaluative autodirective où c’est à lui de prendre en charge l’organisation de son évaluation continue et terminale. C’est ce que je nomme ici la dimension institutionnelle.
On peut constater par ailleurs, qu’à ce niveau universitaire, les attentes en termes de compétences évoluent, puisque le directeur de mémoire attend de l’étudiant qu’il se forme à la recherche par la recherche. Ainsi, les stratégies d’apprentissage que l’étudiant a pu développer en Licence (principalement mnésiques), ne lui servent plus, elles ne lui permettent pas de développer les compétences de recherche requises pour valider son mémoire de recherche, puisque la formation à la recherche par la recherche se réalise par expérience de l’activité et non par une restitution de connaissances. Par ailleurs, le travail de rédaction auquel il est accoutumé ne lui sert plus pour la rédaction d’un mémoire, l’exercice est différent. L’étudiant doit alors découvrir les compétences de recherche à acquérir pour que son travail de recherche corresponde aux attentes scientifiques attendues par son directeur. L’étudiant passe alors d’un statut d’étudiant à celui d’apprenti chercheur, ce que je nomme la dimension scientifique.
L’étudiant de Master expérimente par ailleurs, une nouvelle relation pédagogique, à savoir la relation duale d’accompagnement. On passe en effet, d’une relation groupale en Licence, à l’introduction d’une relation duale en Master, c’est ce que je nomme la dimension relationnelle. L’étudiant découvre, notamment, l’introduction d’une dimension affective dans son rapport à son enseignant. Cet affect, comme nous allons le voir, n’est pas sans conséquence sur l’évaluation continue et terminale du mémoire de recherche.
Au vu de l’évolution de la structure formative en Master et notamment dans sa structure évaluative, j’envisage l’entrée en Master comme un passage.
2.2 La notion de passage : de Van Gennep à Coulon
2.2.1 Les rites de passage de Van Gennep
Van Gennep définit les rites de passage comme « des rites qui accompagnent chaque changement de lieu, d’état, de position sociale et d’âge » (Van Gennep, 2004, p.95). Il décompose les rites de passage en trois ensembles spécifiques : les rites de séparation, les rites de marge et les rites d’agrégation.
Les rites de séparation marquent la séparation de l’individu avec son groupe d’appartenance. Lors de ces rites, on coupe quelque chose de manière plus ou moins symbolique (cheveux, mutilations diverses) pour signifier cette séparation. Ce cérémonial s’apparente à une mort symbolique de son état antérieur. Ensuite, vient la période de marge (rites de marge). C’est une phase de transition, l’individu se situe entre deux statuts. Il est séparé de son ancien monde mais pas encore agrégé à son nouveau groupe social. La marge est une période, plus ou moins longue, en fonction du rite, durant laquelle l’individu se retrouve par exemple, reclus et/ou soumis aux ascèses des anciens. Enfin, l’initié s’agrège (rites d’agrégation) à sa nouvelle communauté, principalement par le biais d’un cérémonial autour d’un repas ou d’un échange d’objets. Il renaît symboliquement car il devient membre à part entière de la nouvelle communauté. Il est à présent de nouveau reconnu socialement, il acquiert une nouvelle identité sociale, un nouveau statut, qui plus est supérieur à l’ancien
2.2.2 Application du concept de passage au système universitaire selon Coulon
Coulon reprend la notion de passage développé par Van Gennep et l’applique au domaine universitaire. Il considère l’entrée à l’université comme un passage : le passage du lycée à l’enseignement supérieur, qui comprend trois temps : le temps de l’étrangeté, le temps de l’apprentissage et le temps de l’affiliation.
Le temps de l’étrangeté désigne le moment où le lycéen entre à l’université. Il passe du statut d’élève à celui d’étudiant. Il quitte bien souvent son foyer familial, sa ville d’origine, voire parfois sa région. Il se sépare d’un milieu qui lui est familier, le lycée, pour pénétrer dans un environnement inconnu : l’université. Durant cette phase, il se détache de son passé et quitte ses repères. Le passage au statut d’étudiant confronte par ailleurs, l’ancien lycéen à un nouveau métier : le métier d’étudiant. Ensuite, vient le temps de l’apprentissage, l’étudiant « n’a plus de passé mais pas encore de futur » (Coulon, 2005, p.10). Là aussi, il se situe dans un entre-deux. Durant cette période d’apprentissage, il se familiarise davantage avec l’université et devient progressivement un membre de la communauté estudiantine. Il cherche à s’adapter à son environnement et passe de l’étudiant novice à l’apprenti. Puis, l’étudiant s’affilie (le temps de l’affiliation), c'est-à-dire qu’il est parvenu à acquérir les outils institutionnels et intellectuels indispensables à la maîtrise de son métier d’étudiant. Coulon définit l’affiliation comme « la démarche par laquelle quelqu'un acquiert un statut social nouveau » (Coulon, 2005, p.2). L’ancien lycéen a acquis un nouveau statut : celui d’étudiant. Il est maintenant familiarisé avec son nouvel environnement.
Coulon postule qu’un étudiant de première année non-affilié abandonne ou échoue aux examens car il n’est pas parvenu à s’intégrer à l’université durant les premiers mois de son entrée. En d’autres termes, il n’est pas parvenu à apprendre son métier d’étudiant.
2.3 Le passage en Master : de la déstabilisation à la familiarisation
Au vu de la différence entre la structure formative de Licence et celle du Master, notamment au niveau de son évaluation, je conçois l’entrée en Master comme un passage (cf. figure 1). Ce passage est une rupture avec les modalités du métier d’étudiant tel que l’étudiant l’a acquis dans les trois années de licence. Ce passage est aussi un processus puisqu’acquérir de nouvelles compétences prend du temps et nécessite un cheminement de l’étudiant. J’envisage ce passage selon trois phases : la déstabilisation, l’adaptation et la familiarisation.
En entrant en Master, comme nous l’avons vu, l’étudiant se confronte à une nouvelle structure formative, puisqu’il découvre un nouveau rapport au savoir et à l’enseignant (phase de déstabilisation). Concernant le rapport au savoir, accoutumé à une structure hétérodirective, l’étudiant doit à présent prendre en charge l’organisation de sa formation (dimension institutionnelle). Ensuite, il découvre la formation à la recherche par la recherche qui implique d’adopter une posture d’apprenti chercheur (dimension scientifique). Au niveau du rapport à l’enseignant, il découvre une nouvelle relation : la relation duale de direction de mémoire (dimension relationnelle). L’étudiant est alors déstabilisé par le nouveau contrat qui découle de cette évolution dans la structure formative, qui diffère du contrat d’enseignement tel qu’il a pu l’expérimenter en Licence et que je nomme le contrat d’accompagnement (nous le définirons plus tard).
Comme la marge de Van Gennep et le temps de l’apprentissage de Coulon, la phase d’adaptation, que je postule, est une période d’entre-deux, plus ou moins longue en fonction de l’étudiant. L’étudiant n’a pas encore quitté toutes les caractéristiques de la Licence, à savoir son statut d’étudiant, ses habitudes d’hétérodirectivité et ses habitudes comportementales au sein d’une relation groupale. Lors de cette phase, l’étudiant cherche à comprendre son nouveau contrat d’accompagnement par le biais de diverses stratégies telles que l’expérience de l’action, le tâtonnement et la discussion avec ses pairs ou son directeur de mémoire. En d’autres termes, il essaie de découvrir le rôle de son directeur et les attentes que celui-ci peut avoir envers lui. Il cherche à connaître les clauses négociables et non négociables de son nouveau contrat. Enfin, il tente de définir les limites de sa direction et de compenser les manques éventuels de son accompagnement.
La familiarisation est la troisième phase du passage qui implique la réussite en Master. Cette phase est à la fois considérée comme un processus et comme un état. En tant que processus, l’étudiant s’affirme progressivement dans son nouveau rapport au savoir et à l’enseignant : il prend peu à peu en charge les contraintes de l’autodirection, il se représente mieux le travail de recherche (apprenti chercheur) et parvient petit à petit à appréhender sa nouvelle relation duale. Je postule que la réussite de l’étudiant de Master passe par sa familiarisation à sa nouvelle structure formative. J’envisage la réussite de la manière suivante : mener à terme son mémoire et obtenir une note qui permette de passer au niveau universitaire supérieur c'est-à-dire d’entrer en doctorat. En tant qu’état, l’étudiant familiarisé maîtrise son nouveau contrat d’accompagnement et a obtenu son diplôme de Master.
Par cette étude, je cherche à décrire les modalités de ce passage en m’intéressant à la manière dont les étudiants et les directeurs de mémoire « vivent » cette expérience, afin de pouvoir apporter des éléments de connaissance sur les facteurs favorisant la réussite au Master. ». Pour réaliser cette étude j’ai procédé par entretiens auprès de 26 directeurs de mémoire[4] et de 27 étudiants de Master 2 recherche[5] (dont 20 binômes), ceci dans le domaine des sciences humaines et sociales (Psychologie, Sociologie et Sciences de l'éducation), et dans 8 universités françaises.
3. Evolution des attentes de l’enseignant : de la restitution de connaissances à l’élaboration d’un travail de recherche
Comme nous l’avons déjà étudié, les modalités d’évaluation évoluent en Master puisque l’évaluation devient continue de par l’élaboration d’un travail de recherche tout au long de l’année. Ainsi, les attentes de l’enseignant, en terme de compétences, sont différentes par rapport aux compétences qui pouvaient être attendues en Licence, et les stratégies d’apprentissage (principalement stratégique et de surface[6]) que l’étudiant a pu développer en Licence ne lui sont plus utiles. Même si l’étudiant se sent à l’aise dans son métier d’étudiant, son statut change, et il devient apprenti-chercheur.
3.1 Etre capable de construire une démarche de recherche
Certains directeurs de recherche s’attendent, entre autres, à ce que l’apprenti chercheur choisisse un objet de recherche qui le passionne « je les encourage à prendre des sujets qui les intéressent » (D10), « je dis aux étudiants, essayez de travailler sur quelque chose qui vous intéresse, qui vous passionne » (D8). Cette attente, généralement explicitée par les directeurs en début d’année à leurs étudiants, vise à s’assurer que l’étudiant témoignera suffisamment d’intérêt à l’égard de son objet de recherche pour s’y investir sur la longue période qu’est l’année universitaire, « sinon c’est vite ennuyeux » (D8). On constate, en effet, à travers le discours des étudiants, que pour certains d’entre eux l’attrait pour leur sujet initial diminue avec le temps. Deux comportements principaux se dégagent alors de leurs discours : soit l’étudiant décide de changer de sujet de recherche en cours d’année, comme ça a été le cas pour l’étudiante E24 « j’ai été amené à abandonner ce sujet qui me correspondait pas du tout » (E24), soit l’étudiant s’empresse « d’en finir » au détriment de la qualité de sa recherche « je voulais absolument valider mon mémoire, j’ai dit écoutez, moi je prends le risque, je veux juste valider à 10 [...] mon sujet de recherche ne m’intéresse plus et j’ai le sentiment d’avoir fait le tour » (E12). On note que ces comportements sont plus fréquents chez les étudiants en formation initiale qui parviennent difficilement à autoévaluer leur degré d’attrait pour un sujet. A l’inverse, les étudiants en formation continue[7] sont beaucoup plus assurés dans le choix de leur thématique de recherche car la plupart du temps, il s’agit d’une thématique liée à leurs préoccupations professionnelles, ce qui peut d’ailleurs avoir des répercussions sur leur prise de distance par rapport à leur recherche. Or, l’objectivité du travail de recherche est également une compétence scientifique attendue par les directeurs de recherche. La plupart du temps, cette compétence est explicitée par le directeur à l’apprenti chercheur au moment où l’étudiant commence à rendre ses premiers écrits intermédiaires. On constate cependant que malgré l’explicitation de cette attente, cette compétence scientifique d’objectivité ne s’acquiert que progressivement par l’apprenti chercheur. Ainsi, il est en effet fréquent que les premiers écrits des étudiants en formation continue tendent vers le militantisme, tel que le mentionne la directrice D4 « on avait des étudiants qui étaient des militants pédagogiques » (D4). Ces étudiants en formation continue sont souvent « dans la quête de solutions » (D13), ils recherchent une application pratique à leur recherche « ils auraient une mission à accomplir sur terre » (D15), « un message à faire passer » (D15). La plupart du temps, le directeur de recherche apporte alors son aide à ce niveau, comme en témoigne l’étudiant E10 « c’est toujours la difficulté quand on est praticien de se repositionner comme chercheur donc moi j’étais un peu dans une problématique pédagogique [...] et donc on a réorienté un peu sur [...] une autre problématique qui semble être plus à ce qui se fait en recherche scientifique » (E10). Les premiers écrits des étudiants en formation initiale sont quant à eux, davantage imprégnés de présupposés que de militantisme pédagogique « les étudiants se lancent en ayant déjà trouvé quelque part la réponse » (D17). Là encore, les apprentis chercheurs ont du mal à se décentrer de leur sujet pour mieux s’en distancer. C’est en général le directeur de mémoire, par ses remarques écrites et orales, qui permet à l’étudiant d’acquérir peu à peu cette compétence attendue, comme en témoigne l’étudiant E12 qui souligne le rôle important joué par son directeur sur ce point-là « D12 [mon directeur] intervient il dit [...] ne faut pas confondre tes aspirations personnelles ton point de vue ce que tu as vécus mais sache le il faut mener des enquêtes sérieuses [...] il ne faut pas généraliser » (E11).
La plupart du temps, ces clauses, concernant une petite partie du rôle de l’apprenti chercheur, sont explicitées par le directeur de mémoire à son étudiant soit en début d’année (choisir un sujet qui intéresse l’étudiant), soit dans l’après coup (rendre des écrits objectifs, choisir une méthodologie adéquate, faisable et maîtriser l’outil de recherche). L’étudiant familiarisé est alors celui qui est parvenu à maîtriser ces nouvelles exigences d’apprenti chercheur attendues par son directeur de recherche tout au long de l’élaboration du mémoire, dans le respect du décisionnel mais dans l’intérêt scientifique. On constate que ce sont les étudiants qui ont « compris ces clauses » qui vont pouvoir aller jusqu’au bout et passer les épreuves d’évaluation.
3.2 Etre capable de rédiger un écrit scientifique
Certains directeurs de mémoire considèrent que l’étudiant qui entre en Master 2 recherche a déjà acquis les compétences scripturales scientifiques nécessaires à la rédaction du mémoire, durant ses années universitaires antérieures « en M2 ils savent rédiger quand même il ne faut pas exagérer » (D4). La grande majorité des directeurs pensent à l’inverse, que l’année de Master 2 sert à développer ces compétences « il est encore en phase d'apprentissage » (D3), car généralement le style scriptural de l’étudiant est encore inapproprié, c'est-à-dire qu’il ne correspond pas aux habiletés rédactionnelles scientifiques attendues pour la rédaction d’un travail de recherche « elle rendait des trucs parfaitement journalistiques [...] et donc je lui ai dit que c’était pas des écrits de recherche » (D17), « ils ont un style qui est peut-être trop familier ou pas assez consensuel » (D6). C’est à travers les remarques écrites et orales de leurs directeurs, qui pointent les éléments « trop carré[s] » (E3), pas assez « neutre[s] » (E3), pas assez « concis » (E10), ou encore pas assez « argumenté[s] » (E11), que l’étudiant se familiarise petit à petit à ses attentes quant à ses exigences de l’écrit scientifique. Il faut noter ici que l’écriture longue, et scientifique de surcroît, n’est pas un exercice scriptural dont les étudiants qui entrent en Master sont accoutumés. Malgré les encouragements à l’écriture de certains directeurs qui estiment que « c'est un peu comme nager on apprend en le faisant » (D2), les étudiants attendent en effet, souvent « le dernier moment en pensant que c’est pas urgent » (D2). Ils ont alors tendance à dissocier le travail de recherche et le travail d’écriture de cette recherche, contrairement à la vision du directeur « il y a pas d’abord on pense et après on écrit mais que dans l’écriture on pense » (D11). Il s’agit ici d’une autre compétence a acquérir par les étudiants. On verra plus bas (partie 4.1) que cette activité de rédaction est fortement liée à une procédure d’évaluation formative qui peut poser problème à certains étudiants.
3.3 Etre capable de communiquer sur sa recherche
Les directeurs s’attendent à ce que l’étudiant acquière des habiletés communicationnelles pour être capable de soutenir son travail de recherche lors de la soutenance « je pense qu’elle ne s’attendait pas à ce qu’une soutenance se passe comme ça en fait, elle pensait qu’une soutenance c’était pour qu’elle valide le travail et qu’on fasse que des compliments or, une soutenance de DEA on demande aussi au candidat de défendre son projet » (D6.2). Comme le souligne la directrice D6, la soutenance orale est souvent perçue par l’étudiant comme une validation du mémoire, et non comme une épreuve à part entière qui requiert, au même titre que l’élaboration d’une démarche de recherche et que sa rédaction, des compétences bien spécifiques. La défense de son travail de recherche se prépare donc en amont de la soutenance, notamment par l’anticipation des faiblesses de sa propre recherche « les faiblesses j’en ai un peu dans mon mémoire au niveau méthodologique, bon elle les avait déjà perçu avant [...] dans mon travail j’avais déjà anticipé ça bien sûr parce que je le sentais » (E10.2). Si l’étudiant E10 semble avoir découvert cette attente, qui reste bien souvent de l’ordre de l’implicite, d’autres étudiants en revanche, s’attendent à ce que la défense de leur travail provienne de leur directeur « quand j’ai passé mon oral normalement tu vois dans le jury c’était un peu la personne qui allait relever mon truc et en fait il m’a sorti des trucs tu vois j’étais là ouais mais on aurait pu en discuter avant quoi » (E23). Au niveau de la forme communicationnelle de cette soutenance, la plupart des directeurs s’attendent, à ce que cette épreuve orale diffère dans son contenu, du mémoire de recherche « malheureusement la plupart de ses transparents étaient exactement les mêmes phrases que le mémoire et ils étaient trop chargés » (D6.2). Ces attentes de compétences communicationnelles sont rarement explicitées par le directeur à l’étudiant, et certains d’entres eux les découvrent alors lors de la soutenance « mon jury m’a assez déstabilisé [...] il ne restait plus un centimètre carré de mon mémoire qui n’avait pas été passé au crible, donc j’étais un peu surprise parce que rien ne me faisait attendre ça avant dans le travail qui avait été fait auparavant » (E3.2). Lorsque le directeur ne prend pas lui-même en main l’explicitation de ces attentes, un signe de familiarisation serait que l’étudiant ait un rôle actif en demandant, par exemple comme c’est le cas pour l’étudiante E3, une explication de ces exigences attendues et ce, en amont de la soutenance « je tenais à la voir tout de même en face de moi pour savoir quelles étaient les exigences pour la soutenance [...] je voulais exactement savoir quels étaient les points à travailler » (E3.2), auprès d’un autre enseignant ou encore de leurs pairs « je l’ai su par une autre collègue qui était passée » (E2.2).
4. Une prise en charge par l’étudiant de l’organisation de son évaluation continue et terminale
En Master, l’évaluation évolue et se différencie de la Licence notamment par sa double temporalité : formative et continue et sommative et certificative. L’évaluation formative et continue car d’une part, le directeur de recherche accompagne l’étudiant dans la construction de son mémoire tout au long de l’année et d’autre part, l’apprenti chercheur autoévalue de manière permanente son propre travail de recherche. L’évaluation est également sommative et certificative, par l’épreuve de la soutenance orale qui est organisée en fin d’année. A ce niveau universitaire, dans un processus de familiarisation, l’étudiant répond aux attentes en devenant auteur et acteur de son évaluation car c’est à lui de réaliser un mémoire de recherche qui réponde aux critères de l’institution validante et c’est à lui également d’organiser et de respecter les critères d’évaluation de la soutenance orale. Lorsque ces attentes ne sont pas explicitées par le directeur et non comprises par l’étudiant, les difficultés apparaissent pour l’apprenti chercheur.
4.1 Découvrir les critères d’évaluation du mémoire de recherche
Comme nous venons de l’aborder, l’étudiant doit rendre un mémoire de recherche qui corresponde aux attentes de l’institution validante. On s’aperçoit néanmoins, dans le discours des étudiants, que ces attentes ne sont pas toujours bien cernées par les étudiants car elles restent bien souvent implicites « on sait pas du tout leurs critères, leurs barèmes [...], moi je l’ai pas vu exactement » (E12.2). L’étudiant doit alors les découvrir par lui-même en amont de la soutenance, c’est une chance de réussite forte de demander par exemple, à son directeur une explicitation de ces attentes institutionnelles. Il arrive cependant, que l’étudiant arrive au bout de sa formation sans être parvenu à cerner ces attentes et ne les découvre alors qu’au moment la soutenance orale, à travers les retours des membres du jury sur son mémoire « au travers de ce qu’elles m’ont dit, ça correspondait à ce qui était attendu [...] j’ai appris des choses et puis manifestement je les ai réinvesties de façon correcte » (E2.2). Parfois, malgré les remarques du jury, l’étudiant ne parvient toujours pas à cerner ces attentes « c’est même pas tant sur le contenu même du mémoire mais c’est plus sur la forme, comme par exemple mes notes de bas de pages qui étaient ma faites [...] à la limite ils m’ont repris que là-dessus quoi » (E12.2), « il [E12] n’a pas exploité ses données jusqu’au bout [...] il nous a fait une abomination sur un tableau, il le touille à la manière des psycho avec le jargon [...] une honte » (D16.2). Outre cette exigence en terme de qualité de la recherche, le produit fini qu’est le mémoire doit par exemple, respecter des normes de présentation et notamment un nombre de pages précis « il y avait la moitié des pages, il n’y avait aucune références, ce n’est pas un mémoire d’un M2 recherche » (D17.2).
4.2 Découvrir les critères d’évaluation de la soutenance orale
Si certains directeurs, comme D6, explicitent leurs attentes à l’étudiant concernant le déroulement de la soutenance orale, beaucoup ne semblent pas l’expliciter « on se retrouve en soutenance sans savoir les objectifs de cette soutenance [...] je lui ai demandé les objectifs, les différences avec le M1, mais [...] j’aurais aimé par exemple que le directeur du M2, à la fin de l’année, qu’il y ait un séminaire collectif, tous, tout le groupe, qu’on soit réuni une dernière fois ensemble pour, ne serait-ce que pour parler de cette soutenance tous ensemble, pour qu’ils nous disent les objectifs qui étaient attendus » (E16.2). Dans ce cas, l’étudiant a dû découvrir les objectifs implicites de la soutenance par un acte volontaire, en demandant à son directeur : c’est là une preuve de familiarisation. Cette même étudiante s’est appuyée également sur le témoignage de pairs qui avaient déjà expérimenté cette épreuve orale « j’ai sollicité justement quelques uns du groupe pour savoir s’ils avaient bouclés, soutenus pour voir comment ça s’était passé » (E16.2). Si certains étudiants, comme E16, cherchent à découvrir les exigences de la soutenance en amont, d’autres étudiants, les découvrent le jour de leur soutenance à travers les remarques des membres du jury ou alors ne les découvrent pas du tout, comme en témoigne la version de l’étudiant E12 qui a obtenu 6 à sa soutenance, sur sa perception de sa présentation orale et la version contraire de son directeur de mémoire : « j’avais préparé une bonne partie, une bonne présentation très schématique pour tenir dix quinze minutes, bon ça j’avais bien préparé, donc ça allait plus ou moins et puis on va dire qu’oralement ça se tenait, j’étais pas trop stressé » (E12.2), « il s’est défendu bravement mais ça ne tenait pas » (D17.2).
5. Introduction de l’affect dans l’évaluation
Au niveau universitaire de la Licence, la relation enseignant-enseigné est principalement de type groupale, c'est-à-dire que l’enseignant se retrouve face à un groupe classe, qui reste la plupart du temps dans l’anonymat, jusqu’à l’évaluation. En Master, on découvre l’introduction d’une nouvelle relation pédagogique qu’est la relation duale d’accompagnement du mémoire de recherche. Le directeur de recherche accompagne l’étudiant tout au long de l’année sur son travail de recherche. L’étudiant sort alors de l’anonymat et l’affect s’intensifie dans cette relation, comme dans l’évaluation.
5.1 Perception de l’évaluation continue comme une atteinte personnelle
D’après le discours des directeurs, ils considèrent que l’un des aspects de leur rôle scientifique consiste notamment à apporter des remarques sur le travail de l’étudiant tout au long de son élaboration afin de faire progresser l’apprenti chercheur dans sa recherche « dans le milieu de la recherche on passe notre temps à nous critiquer » (2.D1), « ça sert à rien un directeur si on ne peut pas dire les choses » (2.D25). Beaucoup de directeurs mentionnent cependant, leurs difficultés à critiquer les étudiants, qui ont tendance à personnaliser la critique c'est-à-dire à l’envisager d’un point de vue relationnelle, comme une critique envers eux-mêmes et non envers leur travail. Ils se sentent souvent « humilié[s] » (D1), « blessé[s] » (D13), « découragé[s] » (D13), « touché[s] dans [leur] personne » (D15), « descendu[s] » (D17) ou encore « démoralisé[s] » (D17). Alors qu’en Licence, l’enseignant écrit ses remarques sur la copie de l’étudiant, en Master on constate que la critique devient également verbale, le directeur s’adresse directement à l’étudiant en face à face, lors des entretiens individuels, d’où sans doute cette impression que la critique leur est personnellement destinée. L’étudiant doit donc apprendre, comme l’a fait l’étudiant E4, à dissocier la critique de son travail et la critique sur soi, en tant qu’individu « je lui ai dit ça de ne pas hésiter à critiquer et me dire carrément tout ce qu’il en pense qu’il me dise quand je ne suis pas dans la bonne direction » (E4). La critique est par ailleurs, souvent considérée par les étudiants comme quelque chose de négatif « je lui dis je trouve que votre objet [...] n'est pas bien cadré [...] elle a dit au collègue qui la suit que je l’avais descendu » (D17). Là encore, on remarque qu’en premier cycle, les corrections apportées à une copie d’examen soulignent essentiellement les aspects négatifs du travail de l’étudiant et la note tend à varier en fonction du nombre d’annotations. En Master, l’apprenti chercheur doit apprendre à accepter la critique non plus comme un élément négatif mais comme un remarque constructive destinée à le faire progresser dans la poursuite de son travail de recherche, comme l’envisage l’étudiant E8 « [j’attends d’un directeur] qu’il respecte mes choix mais qu’il me critique quand même qu’il me fasse avancer qu’il me laisse pas dans mon jus » (E8). On remarque que la réception par l’étudiant de cette évaluation continue, qu’est la critique du mémoire tout au long de l’année, ne fait que très rarement l’objet d’une discussion entre le directeur et son étudiant.
5.2 Les biais de l’évaluation liés aux aspects relationnels de la direction
D’après le discours des directeurs, l’intérêt ou le désintérêt scientifique du directeur de mémoire pour le sujet de l’étudiant peut influer sur leurs relations et par le fait, sur la prise de position, de défense ou de critique du directeur de mémoire, lors de la soutenance de son étudiant, se répercutant alors sur sa notation « je ne connais pas son sujet, en plus c’est des sujets d’enseignants, moi je suis pas enseignante de base [...] avec E1 j’ai beaucoup de mal et là à la soutenance j’étais du coup obligé de la critiquer pas mal et puis peut-être que je l’ai fait parce que justement [...] j’avais pas bien ce feeling avec elle » (D1.2).
Lorsque l’étudiant décide de soutenir malgré l’avis défavorable de son directeur, la moyenne ne lui est plus assurée et l’étudiant soutient à ses risques et périls. Le directeur quant à lui, vit cette soutenance forcée comme une déception, un sentiment désagréable, un manque de confiance « j’ai horreur de ces soutenances, je savais qu’il serait collé, j’ai horreur de ça, franchement c’est absurde » (D17.2). Cet étudiant qui a soutenu malgré l’avis défavorable de sa directrice a seulement découvert lors de sa soutenance, que sa décision lui serait préjudiciable « juridiquement parlant, c'est-à-dire j’ai le droit de le faire, mais c’est très mal accepté par le corps enseignant, c'est-à-dire que dans la mesure où tu soutiens sans l’avis favorable de ton directeur de mémoire tu vas au casse pipe, et ça je l’ai vécu de plein fouet, c'est-à-dire que ça a été un véritable pugilat, mais moi je ne savais pas que c’était à ce point marginal » (E12.2).
Par ailleurs, comme toute relation duale, il y a toujours un risque d’instrumentalisation de la relation en sympathisant avec son directeur dans le but d’obtenir une note satisfaisante, comme le souligne D8 et E25 « on va avoir une note, à la mesure de la sympathie de l’étudiant » (D8), « il est sympa il va me mettre une bonne note » (E25).
5.3 La persistance de l’affect post soutenance
La dimension affective est extrêmement présente dans la notation du mémoire puisque le directeur évalue un étudiant qu’il a suivi tout au long de l’année. On s’aperçoit alors que les directeurs se préoccupent davantage de l’avenir des étudiants qu’ils encadrent que dans un groupe-classe. Au vu des témoignages recueillis six mois plus tard auprès des acteurs, on remarque qu’il est d’ailleurs fréquent que certains directeurs culpabilisent de mettre une note qui handicape l’étudiant pour la suite de son parcours « moi je culpabilise toujours un peu de me dire, bon une année, qu’est-ce qu’il va faire s’il ne peut pas se réinscrire » (D17.2). Les directeurs oscillent entre des sentiments de culpabilisation, de déception vis-à-vis du travail de leurs étudiants, voire de compassion comme le mentionne l’étudiante E3 « elles m’ont envoyé un mail très gentil pour me dire que [...] bon mon travail c’était pas un échec, elles ont expliqué un peu donc bon, ça m’a mis du baume au cœur » (E3.2).
Du côté de l’étudiant, une notation jugée trop faible par l’étudiant est parfois interprétée comme un manque de reconnaissance de la part de son directeur, vis-à-vis de son investissement dans sa recherche « j’avoue que sur le coup j’avais été un petit peu déçue, j’avais eu 17 en maîtrise et donc la différence entre les deux et puis l’investissement durant cet été, ça avait été très difficile, je n’avais pas arrêté de travailler, je me suis autorisée vraiment très peu de choses, elles étaient au courant de tout cet investissement [...] j’ai vécu ça comme une non reconnaissance de tout ça » (E3.2). La note peu élevée est même parfois interprétée par l’étudiant comme une trahison «la soutenance s’est achevée comme ça et puis moi quand même après ça m’a un petit peu travaillé, parce que je pensais à des remarques qu’elle m’avait faites et je comprenais pas pourquoi elle me les avait faites dans la mesure où avant je lui avais donné mon mémoire à lire » (E1.2). D’autres étudiants en revanche, parviennent à dissocier le rôle d’accompagnateur de leur directeur et le rôle décisionnel final, à savoir celui d’évaluateur « elle [E12] m’a dit qu’elle ne m’en voulait évidemment pas du tout [d’avoir eu 12] et que c’était un vrai plaisir de travailler avec moi » (D24.2), « je lui en veux pas enfin, il a fait son boulot » (E12.2).
6. Conclusion
On remarque que la régulation de l’apprentissage par l’apprenant n’est pas simple, ainsi pour favoriser la réussite de leurs étudiants, il serait intéressant que les directeurs explicitent leurs attentes tout au long de l’année. Cette situation questionne sur la manière dont on doit penser le rôle d’accompagnateur du directeur de mémoire et celui d’évaluateur. On constate par ailleurs, que le Master est à la fois un diplôme mais également l’ouverture vers le doctorat. La soutenance tient alors lieu d’agrégation à la communauté scientifique, puisque la validation de cette épreuve orale témoigne de l’aptitude de l’apprenti chercheur à entrer dans la communauté des chercheurs « je me suis senti symboliquement passer d’un état à un autre » (E27.2).
Références
Coulon, A. (2005). Le métier d’étudiant. Paris : Economica.
Duru-Bellat, M. (1997). Que faire des enquêtes sur la réussite à l’université. Education & formations, 50, 59-70.
Frenay, M., Noël, B., Parmentier, P. & Romainville, M. (1998). L’étudiant- apprenant : grille de lecture pour l’enseignant universitaire. Paris : De Boeck.
Langevin, L. & Bruneau, M. (2000). Enseignement supérieur : vers un nouveau scénario. Issy-les-Moulineaux : ESF.
Le Bouëdec, G. & de La Garanderie, A. (1993). Les études doctorales en sciences de l’éducation. Pour un accompagnement personnalisé des mémoires et de thèses. Paris : Harmattan.
Van Gennep, A. (2004). Les rites de passage [1909]. Paris : A. et J. Picard.
[1]Les termes entre crochets sont ajoutés par moi-même.
[2] Ce qui est valable ici pour le diplôme de la maîtrise, est transférable au diplôme du Master.
[3] Romainville (1993) in. Frenay (1998).
[4] Afin de respecter l’anonymat des directeurs de mémoire, la lettre « D » de « directeur » sera suivie d’un chiffre.
[5] Afin de préserver l’anonymat des étudiants, la lettre « E » de « étudiant » sera suivie d’un chiffre.
[6] Selon les termes de Ramsden (1992).
[7] En reprise d’études.